Presse | LEAP, le bond sans frontières

La Traductiere cover

Leap, revue internationale sur l’art contemporain chinois et asiatique, première édition française :« Chine : les communautés flottantes » (édition bilingue français-mandarin, Beijing-Paris, 2015, 220 pages, 12 € – www.leapleapleap.com)

Leap – entendez « Le bond » ou « Le saut »– est une revue internationale sur l’art contemporain chinois et asiatique. Elle paraît depuis cinq ans, en édition bilingue anglais- mandarin, à raison de six numéros l’an. En 2015, elle a inauguré la publication d’un numéro bilingue annuel en français et mandarin. Elle l’a placé sous le thème « Chine : les communautés flottantes ».

Destinée au monde professionnel de l’art contemporain mais aussi aux amateurs, Leap est dirigée à Beijing par Cao Dan, une artiste chinoise vivant entre la Chine et la France, et qui anotamment participé à quelques reprises aux expositions et créations vidéo du Festival franco-anglais de poésie. Publiée en format 21 x 27 cm avec de nombreuses nombreuses illustrations en couleur et noir et blanc,cette prestigieuse revue présente de nombreux entretiens avec des responsables d’institutions artistiques à dimension internationale, mais aussi avec des artistes, ainsi que des reportages sur l’état de l’art contemporain et des dossiers sur des artistes individuels.

Elle s’intéresse à l’art contemporain tel qu’il existe dans les grandes foires internationales, mais tout aussi bien à des artistes encore inconnus regroupés dans tel ou tel quartier de Beijing, qui s’attachent à traduire un monde contemporain aux prises avec des contradictions locales et une poussée vers la « globalisation ». Entre autres singularités, Leap réunit au sein d’un intérêt général pour l’art visuel des activités aussi diverses que la création picturale, la sculpture et l’architecture, le design, la photographie, le cinéma et la vidéo, le théâtre et le cyber-théâtre, les installations diverses ou encore les projets de développement de l’art et de l’espace publics.

Sous le thème des « communautés flottantes », ce numéro consacre une part importante de ses pages aux points de vue des acteurs de l’art officiel que sont les commissaires d’exposition, curateurs, marchands d’art, critiques, directeurs de musées et de galeries devant la mondialisation. « Le monde entier est une foire », titre non sans provocation l’un des articles concernés, tandis que d’autres entretiens portent plus loin la réflexion sur le monde en train de s’ouvriret sur les approches artistiques contemporaines. Pour Philip Tinari, directeur de l’Ullens Center for Contemporary Art de Beijing, « la mondialisation, ce n’est pas prendre l’avion pour aller aux quatre coins du monde, ni être actif, de la même manière, sur tous les continents, c’est la possibilité de permettre aux spectateurs locaux, quelle que soit leur nationalité, d’avoir accès à des connaissances qu’ils ne pourraient pas trouver sur place ». Et pour le curateur d’expositions Nicolas Bourriaud, s’impose s’impose avant toutes choses le devoir de revisiter en permanence le chemin entre le déjà connu et l’inconnu : « Il faut étudier le territoire le plus étendu possible, saisir les vibrations du monde, faire la synthèse de tout ce qui émerge. Ce que l’on connaît déjà, d’un côté, et ce que l’on ne comprend pas encore, de l’autre, sont les deux pôles d’une dialectique qui doit accompagner constamment le curateur. D’une certaine manière, je pourrais dire que si je « comprends » une œuvre tout de suite, dans le sens où j’arrive à la décoder immédiatement, c’est qu’elle est sans intérêt. L’art est le contraire de la communication. »

Concernant les nombreux artistes présents dans ce numéro, Leap fait état notamment de la forte tendance des artistes taiwanais à travailler sur le thème de la ruine et des terrains vagues, participant ainsi d’une « quête d’identité encore inaboutie » ; du côté de Hong Kong, c’est l’implication d’artistes dans la redéfinition de l’espace public qui fait le plus souvent débat, l’enjeu étant de redonner à la ville et au vécu de ses habitants un sens qui échappe aux seuls intérêts de spéculateurs immobiliers : d’où une reconsidération de « l’héritage industriel du design urbain », l’aménagement de parcs d’attraction, les peintures murales ou encore l’organisation d’expositions mobiles.

S’il fallait enfin résumer en quelques phrases l’impression générale que nous inspirent les démarches artistiques chinoises répertoriées ici, la description donnée par le fondateur de la K11 Art Foundation, Adrian Cheng, du travail de l’artiste Chen Tianzhuo serait sans doute la plus adaptée : « Il incarne l’esprit de la nouvelle génération d’artistes en Chine qui cherchent de nouvelles formes de communication, interprétant leurs expériences transfrontalières et mettant en jeu des perspectives complexes et superposées du monde. Présentant des œuvres d’art aux médiums variés, incluant la sculpture, la vidéo, les installations et les performances, Chen transporte son audience dans un voyage d’exploration et de découverte, entre réalité et spiritualité (…) avec des images séduisantes, dérangeantes mais jamais communes, qui transcendent les frontières géographiques, et vont de la culture mainstream aux sous-cultures, du sociétal aux questions culturelles. »

De par sa curiosité très professionnelle, de par la diversité des auteurs et des artistes interrogés comme par la grande variété des pratiques visuelles reproduites, ce premier numéro de Leap en français constitue d’ores et déjà unoutil privilégié pour la connaissance et la découverte de l’art en devenir sur le continent asiatique.

Jacques Rancourt

* Cet article a été publié à l’origine dans la Traductière numéro 34